Brexit : j'aurais voulu être triste et surpris
Pour être franc, je ne saisis pas encore l’ensemble des tenants et aboutissants de ce scrutin, même si j’ai lu beaucoup d’articles sur le web et ailleurs (un peu trop vite, comme tout le monde). Mais je sais deux choses : que le rêve européen ne finit pas de dépérir, et que mes amis espagnols qui vivent en Grande-Bretagne ont peur, à la perspective d’un Royaume-Uni sous visa et permis de travail.
L’UE ne fait pas rêver. Sa structure économique fonctionne, et c’est à peu près son seul succès. Cela ne suffit pas, surtout si on y additionne une croissance peu florissante, l’agrandissement des inégalités sociales, l’effondrement des pensions, les hésitations régaliennes et militaires de l'UE ou de ses principaux membres, son incapacité à s'exprimer d'une voix, et j’en passe.
On dépeint la croissance, même modérée, comme une sorte de cercle vertueux, dont les fruits seront pour tous. Voilà longtemps que nous avons compris qu’il n’en était rien. La violence et le désespoir qui frappent notre continent l'illustrent trop bien. Déjà au début des années 1990, près de chez moi, fleurissaient les graffitis annonçant « Ca va péter ». Et c'était avant les fermetures d'usines ou de chantiers navals.
Depuis, la situation a continué de se dégrader. Un glissement que rien ni aucune volonté n’enraye. Parce que l’UE est un circuit, impalpable, gérés par des gens d’accord entre eux, et satisfaits de l’être, qui président aux affaires d’une manière qui se voudrait neutre - à l’image des hommes et femmes politiques actuels. Et la neutralité revient à gouverner dans le sens des plus forts, des mieux armés. En témoignent, entre autres, le sort réservé aux lanceurs d’alerte, ou de récentes tergiversations pour le moins curieuses, notamment en termes de santé publique. Les idéaux fondateurs d’unité, de paix, de justice, et de concorde n’ont pas été reniés, mais ils ont disparu sous les affaires courantes, la comptabilité. Et cela tue l’UE.
A l’image de cette époque, l’UE a évacué la culture, le fabuleux patrimoine du continent, qu’elle se contente de perfuser à coups de subventions et de fêtes, quand ses artisans peinent à vivre. Elle a chassé l’enrichissement de soi, l’éducation, au profit de dispositions et de machines ternes, mal comprises, qui régulent et dérégulent de façon lointaine, désincarnée, sous la pression des lobbies.
Plus généralement, l’UE symbolise la faillite actuelle du politique et de la démocratie du XXIème siècle. Un seul exemple : le Président de la Comission européenne mène la politique touchant la vie de centaines de millions d’Européens, sans être élu directement par eux.
En 2005, déjà, d’aucuns prétendaient que le NON au traité européen amènerait l’UE à se remettre en cause, se recentrer vers plus de justice économique et sociale. La machine a prouvé son inertie.
Ce que l'écrasante majorité des populations réclame, je crois, ce ne sont pas les vieilles lunes des révolutions ou la bêtise des populismes, c’est un capitalisme en ordre de marche, qui soit à l’abri d'intérêts ou de groupes particuliers, et assure une juste rétribution aux personnes qui travaillent, comme à celles qui ont travaillé ou qui ne peuvent plus le faire. Non pas l’égalité, mais la justice. L’UE manque à cet appel.
Le Brexit fera du mal, aux Britanniques comme aux étrangers qui vivent au Royaume-Uni. Je pense à mes amis espagnols, qui travaillent à Londres, à la perspective de l’obtention d’un permis de travail, d’un éventuel ralentissement économique, d’une baisse du niveau de vie, de la montée d’une incertitude systémique et du populisme (car cette bestiole est insatiable, le Brexit ne lui suffira pas). La transition sera difficile, et pénible. J’espère que les Britanniques sauront ménager une voie moyenne, qui ne compromette pas le bien général.
La décision est pénible, mais il ne faut pas oublier qu’elle émane du vote, de la souveraineté populaire, une notion que même certains amoureux transis de la démocratie peinent à comprendre quand elle va à l’encontre de leur analyse.
Et pour répondre au message d’un ami, envoyé tôt ce matin : à mon sens, le rêve européen n’est pas encore mort. Enfin, je crois.