Écrire sans couture
Je me suis fait cette injonction en lisant L'idiot.
Quand j'écris, je tâche de faire disparaître les fils et les coutures, créer l'illusion d'une pièce qui serait d'un tenant, une seule peau, un tissu conjonctif.
Certains, comme Balzac, n'en ont cure. Il est donc de bon ton de dire qu'il écrit mal, ce qui est faux, à mon sens. Dostoïevski pousse la pratique plus loin.
Et cela fait son style, sa respiration. Les sutures doivent apparaître, prêtes à craquer, sous la frénésie que portent ses personnages , celle de la société qu'ils échauffent et malmènent. Ceux qui dissimulent le moins étant les héros, renonçant à l'illusion de la bienséance et du respect, par déraison ou excès de logique brute : un jeune homme pauvre et brillant se met en tête de tuer une vieille acariâtre cruelle et riche. Ce qui s'appelle la justice, dans le sens le plus intransigeant du terme. Et c'est Crime et Châtiment.
Ses romans, c'est Frankenstein, dont les fils suintent encore, et qui ne se meut jamais sans souffrir. La vie, bande de chair à vif, tendue sur l'abîme. Et ce chant laborieux sonne, même s'il grince, craque, et que ses grossières écorchures frottent, créant le fleurissement d'infections inédites.