Le destin de Mr Crump, Ludwig Lewisohn
Le destin de Mr Crump est un roman qui a fait scandale à la fin des années 1920, pour outrage aux bonnes moeurs, comme L'amant de Lady Shatterley . Encensé par Freud, préfacé par Mann, c'est un chef-d'oeuvre sous-estimé, dont certains passages sont virtuoses. Quand le livre de DH Lawrence est devenu un grand classique qui permet de sourire de la pudibonderie de la société de l'époque, celui de Lewisohn garde quelque chose d'incandescent.
Il ne dépeint pas seulement l'enfer du mariage mais aussi le désir méthodiquement disposé de la destruction de l'autre dans le cadre de la vie quotidienne, installée et adoubée par la loi. Jamais je n'ai lu d'ouvrage aussi beau et lucide sur l'emprise et la toxicité.
Clinique, il fouille la rage existentielle et morbide d'Anne, une femme détruite par la vie, voulant faire payer son propre malheur à Herbert, son jeune mari, musicien talentueux, tendre naïf qui tâche de s'accomplir et de s'émanciper. Le destin de Mr Crump questionne le mystère de cette colère indéracinable, qui mène la pulsion de destruction la plus crue à prendre les autours de la séduction et le désir inconscient de s'y laisser prendre chez sa proie, laquelle passe très vite du statut de sauveur à celui de bourreau, harassée par la victimisation inlassable de son épouse, laquelle justifie l’injustifiable par un sentimentalisme de bazar. Nous connaissons tous un Herbert ou une Anne. L’humanité face à la sociopathie. Peut-être avons-nous même été l'un d'eux.