Nicolas Gomez Davila
Quelle fête que la prose de ce vieil Indien bruni au soleil de l’Antiquité, qui taille des distiques comme on aiguise des flèches, au milieu de sa bibliothèque immense, dans une maison centenaire d’un vieux quartier de Bogota. Nicolas Gomez Davila fait un Borges laconique, pas baisant, moins enchanté de son savoir que le grand conteur aveugle. Cela tombe net, indubitable, comme une balle crevant un baudruche.
J'ai lu Le réactionnaire authentique de Gomez Davila ne même temps que la correspondance de Flaubert. Les deux bonhommes ont horreur de la faiblesse de masse, faisant pencher les têtes dans le sens du vent. L'un et l'autre sont les tenants d'un même inactuel, fait d'intelligence et d'honnêteté. Ils sont la figure de l'artiste idéal, attentif et distant, acerbe et mystique, anticonformiste parfois, libre toujours.
Dans une époque élevant la cupidité en système, prônant la passion cynique du transitoire, l’exploitation commerciale de la bêtise, l'élévation de la tartuferie en métaphysique, la lecture de Gomez Davila est un plaisir piquant, où germent les délices d’une discipline aristocratique de l’esprit.
L’intelligence et l'art sont désormais une lutte, davantage contre leurs faux-semblants et leurs imitations industrielles que leurs ennemis frontaux. Il s'agit de ne pas s'enivrer d'impuissance, même s'il y aurait de quoi. A l'instar de Gomez Davila, il faudrait convertir sa résignation en enchantement. Certes, celui qui n’épuise pas sa vie à assouvir sa cupidité semble voué au mépris. Mais ceux qui s'adonnent à ce jeu ne l'ont pas choisi. On le leur a imposé. Les réactionnaires authentiques, au moins, sont les victimes consentantes d’une malédiction enchantée qu’ils se sont eux-mêmes lancée.