Baptiste Fillon

(rien à voir avec François)

Le site de Baptiste Fillon, auteur du roman Après l'équateur, publié chez Gallimard, dans la collection Blanche.

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Le sabbat des sorcières, Ginzburg

Le sabbat des sorcières de Carlo Ginzburg est une immersion dans les traditions chamaniques et sacrées de notre civilisation, influencées par les Celtes, les Lapons, les peuples des steppes d’Asie centrale, les Grecs, et j’en passe. Ginzburg est un historien dont j’apprécie beaucoup le travail, notamment son ouvrage Les batailles nocturnes.

El aquelarre, Goya, 1797-98, Musée Lázaro Galdiano, Madrid.

Étudiant la sorcellerie et les superstitions, il ravive les existences minuscules d’hommes et de femmes censés ne pas avoir d’histoire. Des petites gens attachés aux transes, à la divination et aux périples mystiques, dont les obsessions sur la mort et le futur restent les nôtres. En lisant Ginzburg, je crois secrètement rechercher une réponse à la question honteuse et archaïque de savoir si la magie existe ou pas. Je cherche encore. L’interrogation est tenace.

La recherche reproduit, sur une petite échelle et sous une forme simplifiée, à la manière d’une expérimentation, une expérience qui est celle de tout un chacun : celle de pénétrer dans un monde que nous n’avons pas choisi, qui nous est pour l’essentiel inconnu, et dans lequel agir, signifie aussi (je ne dis pas surtout) être agi.
— page 420

Une armure sur mon mur

J’ai découvert les armures de Negroli voici quelques années, au musée des Invalides. Ce sont essentiellement des pièces d’apparat en métal repoussé et ouvragé, comme s’il s’agissait de pâte à papier ou de bois tendre. Je les trouve si fascinantes que j’ai accroché la photo d’une bourguignotte à l’antique réalisée pour François Ier au-dessus de mon bureau. Dans les instants difficiles, elle me rappelle qu’on peut toujours se battre avec élégance et beauté, surtout quand on se bat pour elles. Le chemin important autant que le but, les moyens autant que la fin.

Bourguignotte à l’antique réalisée pour François Ier, attribuée à Filippo Negroli (1510-1579). Milan, après 1545. Fer ciselé, argent, or. Paris, Musée de l’Armée. © Musée de l’Armée. Dist. RMN - Grand Palais/Sebastian Straessle.

La vie fragile, Arlette Farge

Je sors d’une période où il m’a été très difficile de trouver des ouvrages de fiction intéressants. Je me suis rabattu sur des récits et des livres d’histoire, notamment celui d’Arlette Farge. C’est taillé dans une écriture leste, tendre et attentive, amoureuse du Paris du XVIIIème siècle et de ses gens. A l’époque, le dedans et le dehors n’existent pas, la rue rentre chez vous et vous faites la rue, celle qui ébranle le roi ou le célèbre comme Dieu sur terre.

La Seine en aval du Pont-Neuf, à Paris. J.B. Raguenet (1715-1793) © Photo RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

Arlette Farge prend le point de vue des gens de tous les jours, dans leur capacité à regarder, comprendre et aimer. La multitude n’est plus un amas de gueuserie, elle a un coeur, pleure, jouit et rêve. Stratégie matrimoniale, escrocs à la manque, petit commerçants, artisans, policiers voleurs d’enfants, ouvriers frondeurs, prostituées, ravaudeuses… le petit peuple perdu du Paris de l’Ancien Régime revient à la vie, dans un monde oublié, où l’injustice est constitutive de l’ordre social, acceptée voire plébiscitée même dans ce qu’elle a de plus arbitraire. Nous ne sommes pas là dans l’ouvrage à thèse ni militant. Le livre d’Arlette Farge fait bien mieux que mener un combat. Il démontre par le fait qu’exprimer le réel, dans ce qu’il a de plus factuel mais aussi de plus rose et sentimental, c’est ramener à la vie l’âme et la dignité des oubliés.

De ces tableaux se dégagent de la précarité et de la force, la volonté de ne jamais se laisser abuser ou démunir. Dans Paris, tout vit, bouge et meurt sans répit sous les yeux de chacun, dans un espace ouvert où le voisin, qu’il soit ami ou ennemi, est le perpétuel témoin de soi-même.
— La vie fragile, Arlette Farge